Editions de l'Abat-Jour

  ​ VOIR TOUTES LES POSITIONS

Dans les épisodes précédents :
Respectivement au service des assurances Comptex et de la police des fous, Psychœ et Crevert ont pour mission d’assassiner le maître du Métapoly.
Le train 1069 fonce vers le port de Voiles-sur-Mer.

À bord du train 1069…

Le soleil clouait telle une darbouka. Balayé par des vents inhumains, le ciel funeste essayait d’être bleu.

Le train électrique, lui, roulait dans ce bon vieux Labyrinthe comme une boule de billard dans une boîte à chaussures. Les murs défilaient, alternant luxuriance et misère.

Un singulier barman-robot éternua trois fois comme un apôtre au chant du coq. L’invite était claire, le convoi officiel allait bientôt rallier la Gare du Port.

Comme convenu, le nain jaune commanda un bon verre de vin rouge sur glace.

C’était le signal.

— Je vais en prendre un, moi aussi.

Cette voix appartenait à une femme complètement nue sous ses vêtements et parfumée de grands triangles noirs. C’était la belle Psychœ de chez Comptex.

Crevert modifia sa commande :

— Deux ! imposa-t-il.

Psychœ allongea démesurément ses jambes érotiques et déposa ses pieds à côté du nain.

— Alors, questionna-t-elle en guise de préambule, une petite escapade à la mer ?

— Pas tout à fait, dit Crevert, je me rends à Combes-la-Buse.

— Que diable allez-vous faire là-bas ? s’étonna légitimement l’inspectrice.

— Je vais au festival de Métapoly humoristique, se justifia l’inspecteur.

— Vous y participez ?

— Eh bien ma foi, oui.

— Oh, ça c’est vraiment génial ! affirma Psychœ, à la fois faussement admirative et méditative. C’est tellement rare de rencontrer un joueur subtil et amusant.

Crevert prit soudain conscience de la supériorité qu’impliquait sa prétendue position sur le Métapolier (1). La jolie jeune femme, qui l’observait en souriant, flattait sa vanité. Il pontifia :

— Le rire est le gilet de sauvetage de l’humanité, mademoiselle, il ne faut pas rigoler avec ça.

— Comme c’est vrai.

— N’est-ce pas ? Eh bien, tenez : c’est l’histoire d’une punaise sur une chaise percée… euh… non, attendez…

Le décor labyrinthique poursuivait hargneusement les carreaux du convoi. Une tornade de fleurs de magnolia trépassait à toute allure.

Le barman apportait précisément les boissons.

— Ah, se réjouit Crevert, ça y est, j’ai trouvé : double ration de tafia pour l’équipage !

— Bravo ! s’exclama Psychœ en battant des mains.

— Rentrons ça avant qu’il ne pleuve ! gabina le nain jaune.

— À la vôtre ! trinqua bêtement Psychœ.

Ils burent. Crevert suffoqua.

— Qu’est-ce que c’est que ce picrate ? s’étrangla-t-il. Ce n’est pas du Mariani, on dirait une compilation de crachats tuberculeux !

Sous le coup d’une secousse imprévue, due à un coude du dédale, il renversa son verre dont le contenu commença à ronger la moquette.

Psychœ se troubla.

Toujours vert, il observait sa nudité grecque.

Il résolut de lui épargner le premier pas et la troussa avec une rare galanterie.

— Alors, heureux ? lui demanda-t-elle en allumant nonchalamment sa pipe.

Il était clair qu’ils pouvaient à présent se tutoyer.

1 Le Métapolier est le nom du plateau de jeu.​