Position 31
VOIR TOUTES LES POSITIONS
Dans les épisodes précédents :
Psychœ est partie à la rencontre du père chétif.
Ici, Bolzaire réclame une protection rapprochée.
Étable tournante...
Honteusement planqué, tel Céline en 1939, le magnat des chemins de fer toussait comme la devise des mousquetaires.
Son lit, dont les baldaquins étaient des nègres portant, avec embarras, de lourds flambeaux, semblait être devenu le lit de Procuste.
— Je vous dis que je suis en danger ! Il me faut des hommes pour me protéger.
— Impossible ! opposa le père chétif. Tous nos agents se sont perdus dans le Labyrinthe en actualisant les panneaux de signalisation.
— Le problème avec les flics amnésiques, c’est qu’il faut sans cesse leur répéter qui on est.
— Mais je sais très bien qui vous êtes. Bon, je vous envoie quelqu’un, abandonna le père, vaincu.
— Tant que ce n’est pas le démineur de la dernière fois.
— Si, ce sera à nouveau l’inspecteur Crochetrain.
— Merci. C’est un fameux élément !
— Écoutez, sous réserve que la mission ne soit pas trop compliquée, c’est un as.
— Sa dernière intervention n’était guère probante.
— Je n’ai que lui sous la main.
— Dépêchez !
Bolzaire coupa la communication téléspéculaire.
À côté de lui, son âme damnée se curait le nez et arborait un sourire triomphateur.
— Ça y est, annonça-t-il, le Rescrit est passé !
Bolzaire ouvrit de grands yeux incrédules.
— C’est vrai ?
— Oui, il a été voté ce matin même en séance.
— Vous avez toujours été comme un vice pour moi, saliva l’autre avec enthousiasme.
— Ah bon ? s’étonna Bougebouche, flatté.
Le magnat paraissait recouvrer une énergie malsaine.
L’Étable, rotatoire comme un tournesol, procurait une onde bienfaisante. Elle était utilisée depuis toujours comme un lieu propice à la convalescence.
— Je vais vous montrer quelque chose, révéla Bolzaire, en clignant mystérieusement de l’œil.
Et il pointa son index maladif vers le mur d’en face.
— Ouvrez ce coffre-fort, suborna-t-il.
Bougebouche s’exécuta.
Le contenu du coffre était minable : des casiers, des besaces, un vieux livre graisseux.
— Je prends ce bouquin ?
— Non, ça ce sont les plans du Labyrinthe. Ouvrez le sac à droite.
— Oh, un supprequin !
— À droite, je vous dis.
Bougebouche amena dans la lumière une cassette remplie d’une espèce de beurre.
— C’est quoi ce crapouillot moisi ?
— Effleurez cet onguent de votre index, intima Bolzaire.
Malgré sa répugnance, Bougebouche obtempéra.
— À présent, appuyez rapidement et plusieurs fois de suite votre index sur votre tempe.
Encore une fois, le maître obéit.
Pareil à une cuillerée de wasabi, un déluge d’idées envahit tout son être.
— Nom de Cuc, je me sens plein d’antitexte !
Bolzaire gloussait comme un initié délictueux.
— Au préalable, il faut faire un essai.
Bougebouche se tortillait comme un vermisseau dans une goutte d’éthanol.
— Mais il me faudrait un thème, protesta-t-il gaiement, un sujet…
— Je fais appel à votre intelligence.
— Vous n’avez pas fini d’appeler.
L’alité plissa malicieusement les yeux.
— Vous connaissez le Révérend ? voulut-il savoir.
— Ouais, et je ne peux pas l’encadrer. C’est un traîne-galoche, puant comme un fouille-merde et sapé comme un bouffon.
— Oui, c’est ça ! C’est tout à fait ça ! C’est son portrait tout craché. Eh bien, aujourd’hui, je vous propose de cracher sur son portrait.
— Vous croyez peut-être que je vais me gêner?
— Oh non, moi, vous savez, il ne fait pas partie de mes relations mondaines.
— Ni des miennes.
— Alors allez-y, lancez-vous !
« Le Révérend. Il portait gracieux, même si son haut-de-forme, beaucoup trop large, ne lui seyait pas à ravir.
Il l’avait choisi couleur d’eau trouble, car cela lui rappelait les saucissons de sa jeunesse.
En ces temps anciens, dans les bars crapuleux qu’il fréquentait la nuit, on le surnommait parfois ironiquement “le Référent”, tant sa langue comminatoire pourléchait ses grimaces, qu’il avait bedonnantes et pendantes.
Sa barbe, quasiment vert olive, était entremêlée de sonnettes coupées.
Celles-ci pourrissaient allègrement. »