Position 32
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Dans les épisodes précédents :
Rassurés, Bolzaire et Bougebouche sa partagent joyeusement les secrets de l’antitexte.
Psychœ veut devenir agent double.
Gare à toit...
Plus le 85 effectuait son interminable trajet, et plus le Labyrinthe devenait moche.
Prochain arrêt : la Gare à toit.
Psychœ s’était parfumée d’érotisme et s’impatientait dans l’omnibus poussif qui la menait au père chétif.
Elle tapotait machinalement ses pions contre la vitre opaque telle une mouche qui aurait décidé que finalement, elle préférait l’air du dehors.
Et c’est vrai que l’air du train embaumait la charogne.
La Gare à toit, ainsi dénommée car les coûts de fabrication de la toiture avaient quadruplé par rapport au devis initial, n’était toujours pas terminée.
Encombrée d’un chantier perpétuel, il était difficile de trancher en faveur d’une réussite architecturale.
Sur le quai, les contrôles étaient stricts, mais les papiers de Psychœ étaient parfaitement en règle.
Un escalier mécanique actionné, à l’aide de grosses manivelles, par des Hommes de Cuc de dernière catégorie, la mena directement au bâtiment de la police des écervelés.
Prévenu de l’arrivée de Psychœ, le père chétif avait donné au local un coup de balai inexpérimenté.
Elle frappa, car la sonnette était en panne.
Il ouvrit la porte comme un saumon remonte une rivière de perles.
— Vous savez qui je suis ? demanda-t-elle.
— Vous faites tout ce que vous pouvez pour que tout le monde le sache, fit remarquer son hôte.
Et il ne mentait pas, son joli maillot rouge mettait en valeur ses atouts.
— Un verre de vin ? proposa le père chétif, avec une bouche de démon.
— Ça dépend. Il vaut le coup ?
— Ça me ferait mal, c’est du Mariani.
— Alors ça ne se refuse pas.
Le père emplit chichement deux verres.
— À nos beaux projets ! trinqua-t-il, alors que Psychœ n’en avait encore soufflé mot.
Qu’est-ce que c’est que ce jus de pieds ? pensa-t-elle. Si ça c’est du Mariani, je suis la papesse Jeanne (1).
Elle se força à avaler le breuvage et se ressaisit :
— Vous connaissez l’objet de ma visite ?
— J’en ai entendu parler.
Psychœ sortit une missive de la poche intérieure de son maillot.
— Je dois vous remettre ceci.
Le père chétif décacheta la lettre et lut, en souriant comme une selle de vélo.
— Eh bien, je n’ai rien à refuser à ce bon Révérend.
— Et pour mon permis ?
— Aucun problème. La seule chose que reconnaisse la police des déséquilibrés est la légitime démence. Et comme la duplication relève de la schizophrénie, tout est parfait. C’est d’accord.
Psychœ se méfiait. Tout ceci était un peu trop facile.
— Nous allons passer au sous-sol, compléta le père chétif.
— Parce qu’il y a un sous-sol dans ce gourbi ?
— Bien sûr. Et il est truffé de galeries souterraines. C’est d’ailleurs dans l’une d’entre elles que vous allez faire connaissance avec le procédé zygoto-itératif.
— C’est de l’antitexte ?
— Découvrir l’œuf diploïde qui va vous calquer, si vous préférez.
— Oh oui, c’est déjà beaucoup plus compréhensible. Mais surtout n’ayez pas peur de vulgariser, je ne suis pas la plus maligne du lot, vous savez ?
— Tant que nous en sommes aux confidences, badina finement le père, pourquoi voulez-vous devenir agent double ?
— Pourquoi voulez-vous le savoir ?
— Eh bien, au Métapoly, si le dédoublement traduit l'angoisse d’un Personnage devant sa non-réalité et, disons… devant sa non-existence… il peut y avoir de graves effets secondaires, comme l’effet Romulus.
— Crevert me fout les jetons.
Le père chétif eut un mouvement de compréhension.
— Ah, d’accord.
— Ce nain n’a jamais été mon genre.
— Et c’est quoi votre genre ?
— Le vôtre, embrassez-moi !
Et sans prendre garde à la balayure, il la troussa comme un lapin.
1 La papesse Jeanne est un personnage légendaire, qui, au IXe siècle, aurait accédé à la papauté en se faisant passer pour un homme.