Position 42
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Dans les épisodes précédents :
La belle Psychœ s’est évadée du Lieu noir avec la complicité de Crochetrain.
Jardin des assurances Comptex...
Le temps fraîchissait obstinément et un bon feu allait certes être le bienvenu.
Endimanché comme un bourgeois du XIXe siècle, le Révérend ramassait des bûches de chêne avec son râteau lorsqu’il se sentit happé fermement par les épaules et retourné sans ménagement.
— C’est moi ! annonça Psychœ.
Le Révérend sursauta intérieurement mais, extérieurement, ne manifesta aucune surprise.
— Ah non, je ne veux plus vous voir. Je vous l’avais dit : le Lecteur ne saura plus qui fait quoi !
Le ciel noircissait et installait, de-ci de-là, quelques touches de vert-de-gris.
Psychœ avait la mâchoire crispée. Elle dévisageait son stupide chef comme un cobra hypnotise une mangouste.
Très lentement, Psychœ fit remonter le canon menaçant d’un supprequin miniature à la hauteur des parties géniales du religieux.
— Vous avez intérêt à choisir d’autres répliques, prévint-elle.
Le Révérend perdit subitement toute envie de jardinage.
— Et vous, vous avez intérêt à changer de prénom.
— Changer de prénom ?
— Oui, appelez-vous comme vous voudrez, je ne sais pas, moi, madame Irma si ça vous chante, mais changez de prénom ! Adaptez-vous au roman. Après tout, c’est grâce à lui que vous êtes là.
Psychœ sentit une colère noire l’envahir. Encore un petit effort et elle flinguerait le Révérend. Mais ce dernier poursuivait, en dépit du danger :
– Écoutez, je vous avais prévenue ! Je vous avais dit que le père chétif était un descendant direct de Judas l’Iscariote. C’est vous qui avez absolument voulu le rencontrer.
— Économisez votre bave de crapaud, le coupa Psychœ, et déballez votre baluchon. Que s’est-il passé ?
— Que voulez-vous dire ?
— J’étais prisonnière. Alors, pendant ce temps-là, que s’est-il passé ? Qu’est devenu mon double ? Et où se trouve le nain jaune actuellement ?
Le Révérend parut entrer en prières. Il regardait tour à tour le ciel, les arbres du jardin et le thermomètre.
— Je vous avais prévenue ! répéta-t-il. Le Lecteur n’aime pas les doublons. Qui va à la chasse perd sa place.
Psychœ arma le supprequin qui émit un sinistre cliquetis métallique.
— Ça va, dit le Révérend, inutile de frimer. Vous êtes dans les oubliettes du roman. Si vous voulez en sortir, il faut prendre le train en marche et rebondir dans l’histoire avec une péripétie nouvelle et intéressante.
Psychœ baissa légèrement son arme.
— Si vous aviez fait un peu attention, continua le Révérend, vous sauriez qu’il y a du changement. Bougebouche a élevé au rang de personnage principal un sombre inconnu que personne ne connaît.
— Ah ?
— Eh oui ! s’agita le patron des assurances Comptex. C’est un certain Gotzbenglutz : un imbécile qui veut transformer le roman en livre de cuisine.
Cette révélation plongea l’inspectrice dans le désarroi.
— Venez avec moi ! s’excita l’autre. Ce type est à la Convention. À nous deux nous pourrons contrecarrer ses plans. Le Lecteur vous pardonnera et vous reprendra sous son aile.
Psychœ s’aperçut que le sol se mettait à grelotter. Elle sentit que le désintérêt grandissait. Vite, il fallait trouver une solution avant de s’évanouir.
— Dépêchez-vous, vous allez vous liquéfier. Faites-le, je vous en prie !
— Vous savez que je n’aime plus du tout être accompagnée, résista l’inspectrice.
— Mais vous n’avez pas le choix. C’est à nous deux ou à zéro. Je vous en prie, comptez jusqu’à un.
— Advienne que pourra, je m’absous : un !
— Bien joué !
De captive, elle était redevenue captivante.
Un déluge hivernal s’abattit sur leur tête.
Des yeux, Psychœ cherchait naïvement l’abri d’un parapluie.
— Si on rentrait ? proposa-t-elle sans arrière-pensée.
— Le changement de climat vous étonne, pas vrai ? conçut le Révérend. C’est Gotzbenglutz qui bat des œufs en neige.