Une pièce sur le trou

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Une comédie en trois actes de Tréssonq.

 

Avec, par ordre d’entrée en scène des personnages :

- Le capitaine Sproncques

- Wendy

- Julien Julot, dit « Juju le Juteux »

- La toute grande girafe bègue à piles

- Le cadenas qui rit

 

*

 

Acte I, scène 1

 

La scène représente le gigantesque paquebot « Gaufre de Bruxelles ». Il y fait noir comme dans un four. On sent un certain laisser-aller dans la mise en scène. Le capitaine Sproncques fait le malin.

 

Le capitaine Sproncques (bien gommeux) ― Bonjour, bonsoir, mes amis, quelle douce chaleur, n’est-il pas vrai ?

Wendy ― Oh si, capitaine.

Le capitaine Sproncques ― Hein, oui ? D’ailleurs, tu devrais te mettre beaucoup plus à ton aise Wendy. Et enlever tout ton string, là.

 

Éclats de rire du public : Wendy porte une armure.

 

Wendy (commençant d’ôter à contrecœur les pièces de son imposante armure) ― Ouais, mais dis, là, le capitaine, on avait bien convenu que quand on faisait du théâtre, on ne tombait pas dans les grosses blagues lourdes avec les moules, les frites et tout ça, hein ?

Le capitaine Sproncques (lui tapotant l’arrière-train de façon humiliante) ― Oui, je sais bien, Wendy. Mais les moules, qu’est-ce que tu veux, il faut bien faire la pièce, hein ? Et quand on doit jouer les vénus callipyges… Allez, montre-nous juste le siège, va ! Ce sera déjà bien assez « crazy horse » comme ça.

 

Éclats de rire gras du public.

 

Julien Julot, dit « Juju le Juteux » (les larmes aux yeux, s’adressant à Wendy) ― Allez, pitié, Wendy ! Je t’en supplie, au nom de notre amour si pur, ne les montre pas !

Wendy ― Ouais, Juju, tu es mon fiancé, mais bon, là, tu arrives tout rouge dans ta figure, mais je dis « je m’excuse », hein ? Il faut quand même bien que je travaille un peu aussi de temps en temps, tu sais ?

 

Acte I, scène 2

 

Même décor, mais dans un épais brouillard opaque. À ce moment-là, il faut reconnaître qu’on aperçoit encore beaucoup moins bien les acteurs et que cela vaut aussi pour Wendy, hélas.

 

Le capitaine Sproncques ― Wendy ? Où est-elle allée, donc ? Je te parie qu’elle est partie voir derrière.

 

Éclats de rire du public.

 

La toute grande girafe bègue à piles (sentencieuse) ― Ca-capitaine, il faut lui f-foutre la paix. S-si vous pe-persistez dans votre b-bou-bougrerie, je lui prédis de bien grands m-malheurs sur s-son p-po-pot !

 

Éclats de rire du public.

 

Le capitaine Sproncques (railleur) ― Ouille, ouille, ouille, je lui prédis des grands malheurs, et gnagnagna. Une girafe bègue !… C’est vraiment n’importe quoi ici, maintenant, hein ?

La toute grande girafe bègue à piles ― Je s-suis la gi-girafe de votre con-conscience, ca-capitaine.

Le capitaine Sproncques ― Oui, je sais bien, mais cela ne peut servir de rien, car je n’ai jamais rien compris aux femmes.

La toute grande girafe bègue à piles ― Et vous vous en ren-rendez seu-seulement co-compte à p-présent ?

Le capitaine Sproncques ― Oui, je n’avais jamais vraiment compris combien excédait à travers leur cerveau reptilien, la volonté, la nécessité de procréer.

La toute grande girafe bègue à piles ― Qu’est-qu’est-ce que vous vous imagi-giniez a-alors ?

Le capitaine Sproncques ― Oh, je ne sais pas, moi. Probablement qu’elles étaient, comme moi, dans une recherche hédoniste du plaisir.

La toute grande girafe bègue à piles ― Ri-rien que-que le p-plaisir ? C’est un p-peu cou-court, n-non ?

Le capitaine Sproncques ― Comme toutes les projections, je suppose. Maintenant je ne vois pas pourquoi je dois me confesser à une girafe, mais tant pis ! C’est la vie ! Je dois bien avouer que je ne voyais pas plus loin que le bout d’un porte-jarretelles.

La toute grande girafe bègue à piles ― V-v-vous étiez u-une s-sorte d’o-d’ogre ? D’o-d’obsédé se-sexuel ?

Le capitaine Sproncques ― Doucement, camarade. Je ne peux quand même pas avouer ce genre de choses, hein ?

La toute grande girafe bègue à piles ― Mais p-parce que c’est pi-pire que tout ca-ca-pi-pi-taine. C’est du v-véritable ma-machisme pri-primaire.

Le capitaine Sproncques ― En tout cas, je ne vois vraiment pas l’intérêt de converser avec une girafe qui, visiblement, n’a pas encore dépassé le stade anal !

 

La girafe bègue entame une sorte de danse assez empotée, qui n’est pas sans évoquer la danse de la pluie des indiens Pumas.

 

Entracte.

 

Acte II

 

Malheureusement, la scène se passe la nuit, et représente avec justesse l’intérieur d’un souterrain mal éclairé. Wendy apparaît en courant, bien tristement sanglée dans une rutilante ceinture de chasteté sertie de rubis et d’émeraudes. Juste à sa suite vient Juju, poussant des cris de victoire.

 

Julien Julot, dit « Juju le Juteux » (agitant triomphalement une clef) ― Justice est faite ! Maintenant tu peux montrer ta croupe à qui tu voudras, ribaude.

Wendy ― Écoute, Juju, là, franchement, ta jalousie est sans fondement. (Éclats de rire du public.) Par contre, tu trouves ça normal, toi, que ton espèce de cadenas-là, il n’arrête pas de rigoler ? Tu ne crois pas que c’est vraiment indécent, ça, peut-être ?

 

Acte III

 

Avec assez peu de moyens, en raison de la grève des intermittents du spectacle, la scène représente finalement de mauvais lieux d’aisance. Par certains détails, on y devine la présence du capitaine.

 

Le capitaine Sproncques ― Ça fait maintenant plusieurs jours que je ne vois plus la petite Wendy, j’avais pourtant envoyé une bonne dizaine d’hommes à sa recherche à l’arrière du bateau. Je me demande ce qu’elle fabrique ? Il faut dire qu’ici, il fait noir comme dans un trou du…

La toute grande girafe bègue à piles ― Oui, c-ca-capitaine, bra-bravo pour l’ap-po-posiopèse, mais finalement c’est b-beaucoup de p-po-potin (éclats de rire du public) pour rien du tout, c-ca-car ça constitue une p-pépéripétie bien p-po-postérieure (éclats de rire du public) à mon intervention, donc je m’en fous un p-peu hein ? Sans p-pi-pile, je ne sais rien approfondir, c’est c-clair !

Le capitaine Sproncques ― De toute façon, il n’y avait rien à voir par cette nuit sans lune. Hahaha, excellent ! Enfin, je dis « excellent », mais je donnerais gros pour ne pas passer à côté de la vie.

Le cadenas qui rit ― C’est comme pour moi. Au début, on croit que j’ai un beau rôle, mais à la longue, qu’est-ce que c’est embarrassant, dis !

 

RIDEAU

 

*

 

La critique de Jules Cuit

 

Fidèle à lui-même et toujours extrêmement provocateur, Edmond Tréssonq signe ici, pour le plus grand plaisir des amateurs du genre, un audacieux vaudeville salace qui flirte, il faut bien le dire, avec une vulgarité brillamment contrôlée ; et dont toute la coloration joyeusement rabelaisienne est, dès le titre, expertement suggérée.

Sans compter que Berthe Planche nous imite ici l’accent belge à la perfection, et que pour peu on se croirait revenu aux heures de gloire du « Mariage de mademoiselle Beulemans ».

Simon Persavet incarne, quant à lui, une girafe à piles plus vraie que nature, et il faut bien avouer que chacun de ses bégaiements secoue le parterre.

Cependant, en ce qui concerne le Cadenas qui rit interprété par Marcel Epoive, quelques problèmes de mise en scène, bien compréhensibles, desservent un peu l’action.

 

*

 

Et vous, que pensez-vous de cette pièce ?

Que dire du rôle central joué par la girafe de la conscience ?
L’humour subtil du capitaine vous a-t-il plu ? 
Et comment interpréter l’apparition finale du cadenas qui rit ?

Nous attendons vos opinions tranchées en commentaires !