Song for Rowland
Rowland S. Howard (1959-2009) ; tentative d'enluminure pour une oeuvre électrique
Quand on a l’âme romantique, faire pleurer d’amour une fée est une volupté inestimable. La fée que Rowland S. Howard fait pleurer est Électricité. Il la caresse toujours langoureusement, pince ici pourpre et pique écarlate là, pour enfouir plus loin. Sous les spotlights d’un club australien, la lilliputienne irradiée bousille ses lèvres de toutes ses dents : elle crie pour noyer l’orgasme dans ses larmes : l’Éros est l’enfer des fées.
Sa gueule reptilienne d’aristocrate jamais consacré ― qu’il tire comme un fantôme son boulet ―, presque disparue dans la fumée qui s’échappe de sa cigarette, le fait ressembler à une vieille péniche ; le manche de sa Fender Jaguar émail et lave a une proue décadente. Il passe dans l’horizon électrique vertical comme un cadavre à demi retourné. Il traverse une pluie argent qui pénètre une Danaé excentrique, incandescente et bouleversée.
Quand on a l’âme romantique, laisser pousser les ronces dans sa chair est un délice tout à fait inexprimable. Rowland est vénéneux : ivre de ses riffs qui la lacèrent d’amour, Shéhérazade elle-même n’en dort plus, intoxiquée, le sang de son cœur se précipite pour colorer de vermeil ses lèvres prêtes pour le baiser. La distorsion est le seul poison viril. Rowland, le seul homme parmi les empoisonneuses.
Sa voix, aussi bien chez Orphée que chez Néron, tout à la fois sacrée et désespérée, est un miel nocturne et salé : le miel des menstrues des fées. C’est celui-là que Rowland, désolé, récupère les soirs d’orage pour chanter. Quand il passe, courbé sous les branches, pour le recueillir, il s’inspire de la chasse des jaguars fatigués.
Il pense que la gloire est une jeune femme sur laquelle les bijoux ne tiennent pas.
À ses pieds, dans le noir, le guitariste récupère les bracelets-chaînes, bracelets-jarretières, colliers, sautoirs, anneaux, boucles et dormeuses, se lève puis, découvrant la sublime créature, laisse, envoûté, tout l’or tomber une nouvelle fois : Rowland S. Howard a l’âme romantique.
Une abominable âme romantique qu’il traîne comme un fantôme son voile.
Arthur-Louis Cingualte
Playlist
The Young Charlatans : Shivers
The Birthday Party : Jennifer’s Veil
These Immortal Souls : I Ate The Knife
Rowland S. Howard : (I Know) A Girl Called Johnny
Rowland S. Howard : Autoluminescent