Onzième séquence : Le cerveau
Soudain notre « ami » Crevert fut pris d’un brusque désir de clarifier la prolifération du récit.
Et
décidément de remarquables projets se succédaient en rafales dans son cerveau extravagant. Son bon vieux cerveau éphémère, si petit, si mignon, et qui résonnait dans sa tête comme un
grelot…
Il fouilla dans un grand tiroir et retrouva, sous une fine couche poisseuse
de mélasse, la note suivante.
Les Confabulations de
Psycho |
À n’en point douter, nous étions le 6 mars, et Crevert, usant d'une nouvelle stratégie, ajouta à sa méthode cette phrase qui reste une ruse importante :
« Le 25 septembre, à
la fuite de quatre menaces consécutives, Crevert remporta à Combes-la-Buse, la compétition internationale de Tépapoly. »
Puis il précisa :
« Il remporta ainsi sa troisième victoire et resta le champignon incontesté et le Maître de ce jeu
légendaire. »
Ce qui lui permit de glacer, en le notant sur son petit
carnet :
« Demain, c’est le 5 juin, je dois me préparer pour le challenge
international qui se déroule ici à Combes-la-Buse, où je passe mes vacances. Je loge à l’Hôtel Œdipe, et je m’amuse énormément. Ils jouent beaucoup au Tépapoly par ici, ce qui me permet de gagner
tous les soirs. »
Il le referma ensuite et le remit dans sa poche.
Il regarda Psychæ qui s’avançait vers lui, en remuant sa croupe ésotérique, et
lui dit :
― Bonjour Psychæ.
― Bonjour Crevert. Caressez-moi la
chèvre.
― Quelle chèvre ? Tout ce que vous dites est
transparent ! Zéro ! On recommence.
L’Écholapsus :
Caressez-moi la
lèvre. Il faut bien avouer que
cette partie du texte prête le flanc à toutes sortes d’interprétations. On peut même dire, sans exagérer, qu’il a certainement été construit pour cela. Certaines phrases recherchent l’incohérence
et leur déchiffrement obscurcit toute signification.
Psychæ se pencha vers lui et murmura, tout en passant la main dans ses
cheveux :
― Bonjour Crevure.
― Crevure ?
― Oui, mon cher petit Crevure. Vous ne vous souvenez plus de votre grand vœu ?
― Attendez, je crois l’avoir noté ou tartiné quelque part. Mais, heu… non, je ne m’en souviens plus. Cela ne
fait rien, ceci constituera la note 18 concernant mon style.
Et il tourna le coin
de la rue. Là, il rencontra son confrère, le savant Crochetrain, éminent professeur
hyper spécialisé qui excellait dans les dossiers de la belle étable et les notes de la cellule KP-4.
Georgie de Saint-Maur
À quoi rime toute cette histoire ? Que contiennent Les Confabulations de Psycho ?
Est-il vraiment judicieux de caresser la chèvre ? Quel est le grand vœu de Crevert ?
Et qui va gagner cette dantesque partie de Tépapoly ?
Écho n°160, par Philippe Sarr :
Cher Georgie,
Voyage intérieur dans le cerveau de Crevert ? « Un vieux cerveau
éphémère », est-il noté ? Un vieux cerveau peut-il donc être éphémère ? (Retour au « temps des cerises » ?)... Ou bien Crevert aurait-il confondu « contenant » et
« contenu » ? Un cerveau si étriqué, petit, mais tout en « puissance » ? Volonté sans faille, inébranlable, de « clarifier »... l'inclarifiable... savoir la
« prolifération du récit » ? Récit proliférant comme un organe (une orange vocale ?) dont les cellules « reproductrices » seraient devenues résolument « folles » et
incontrôlables. Inclarifiables ?
Désirs (en rafales !)... Extravagance (extra vague pour laisser place aux différents projets et temps des
récits !). Désirs... sans foi ni loi ! Energie vitale au récit et à tout bon joueur de Tépapoly ? Apprécier l'ésotérisme d'une croupe aux volumes incompressibles ? S'en amuser, boire, flirter ?
« Caresser la chèvre » ? Jouer, ce que Crevert fait admirablement bien dans le non respect des règles ?
La folie prolifère, gagne
en intensité... « Vous qui entrez ici... » Pas de réponses. Rien que des questions, des « confabulations » ! Y répondre constituerait fatalement une menace trop grande pour le
récit à la « fuite » de laquelle l'on gagnerait à perdre. Menace que Crevert, mieux sans doute que Crochetrain, trop « savant », déjoue avec ruse et
habileté...
En champion de Tépapoly ?
Écho n°161, par Georgie de Saint-Maur :
Cher Philippe,
Merci de votre commentaire. Vieux cerveau éphémère. Doit-on
stigmatiser l’oxymore ? Non, car il y a « bon », et « bon » dénature « vieux » pour en faire « bien connu ». Quant à « éphémère », il dresse le constat de la frugalité dérisoire de la
vie.
C’est vrai que la brièveté du cerveau peut apparaître absurde par rapport à la foi dans son
potentiel.
Volonté sans faille de Crevert ? Oui, mais qui contrarie l’antitexte. Crevert s’inscrit dans une
démarche intelligible.
Récit inqualifiable ? Organe incontrôlable ?
Plus il y a de texte, moins il y a d’antitexte. Le texte est perçu comme un cancer. Une greffe proliférant et qui contaminerait les
cellules de sa signification.
Les désirs de Crevert sont
identifiables. Gagner, être le meilleur, conquérir Psychæ. Pour ce faire il a recours à l’écrit, au livre. Il note lui-même des exploits dont nous ne savons rien (ou fort peu). Mais n’est-ce pas
là, depuis le début, sa manière de déjouer les règles ?
Dante est évoqué au seuil du tombeau du sens. Mais les
interlocuteurs refusent l’imbécillité complète de leur personnage. Ils veulent que le texte n’ait pas de perception mais bien leur rôle. Si la folie prolifère, soit, mais ce ne sera pas aux
dépens de leur crédibilité !
Paradoxalement, ils veulent que le texte s’étire. Devienne trop long, et, surtout, plus lent !
Nos amis aimeraient avoir du temps à perdre. Tant pis si c’est celui du lecteur.
C’est peut-être cette grossièreté qui est la marque des champions ?
Écho n°162, par Serge Hamels :
J’ai déjà eu sous les yeux (distraitement car chuis pas fan), des textes phonétiques ou en écriture automatique ou encore des mots dans suite… Mais vous c’est différent. Vous, on dirait
vraiment que vous racontez une histoire. On se demande chaque fois ce que vous allez inventer. Comment faites-vous ? Ça ne doit pas être facile de raconter une histoire qui ne veut rien dire… En
tout cas, c’est bien fait. Ça me fait bien marrer.
Écho n°163, par Georgie de Saint-Maur :
Cher Serge,
Merci pour ce commentaire sympathique et magnanime.
C’est vrai que lorsqu’on regarde (sans lire), une page du père fétiche, on a
l’impression que cela revêt une forme narrative. Bravo.
Comment faire pour que ce soit de l’antitexte pur
? Eh bien, comme je l’écrivais à Philippe Sarr, supra, ce n’est pas toujours possible. Ici, dans l’épisode Le cerveau, il y a des éléments narratifs. L’auto proclamation de Crevert, par exemple (champion du monde). C’est peu, c’est minimaliste, mais ça se laisse
résumer. Je rêvais d’un texte qui aurait eu l’apparence d’un récit, qui se serait laissé lire, sans mots compliqués, sans dictionnaire, sur le ton de la banalité, mais qui aurait été impossible à
comprendre. Le chemin est encore long.
Écho n°164, par Georgie de Saint-Maur :
Les derniers commentaires m’ont fait réfléchir. Pourquoi, me suis-je dit, est-ce si difficile de ne rien raconter avec les personnages ? C’est peut-être, tout simplement, parce que les
personnages ne veulent pas.
Si l’on se contente d’écrire : « il était assis, muet, sans rien faire », on tombe dans les aventures d’une lampe de
chevet. Les personnages font fatalement quelque chose. S’ils ne faisaient rien, il serait impossible de donner au père fétiche l’allure d’une
narration.
Dans le père les personnages écrivent
beaucoup. On pourrait même dire qu’ils écrivent ce que nous sommes en train de lire. Mise en abyme ? Bien sûr ! Et c’est un des secrets du père
fétiche.
Écho n°165, par S.C.S. :
Cher Georgie,
Savez-vous qui j'ai rencontré hier, gare du Nord, sous l'horloge de la salle des pas-perdus? Je vous le donne en trois-mille: Crevert ! Oui, votre
héros. Je l'ai reconnu à sa petite moustache et à ses paupières lourdes et bleues. Depuis un moment je l'observais - son visage ne m'était pas inconnu, mais je n'arrivais pas pour autant à mettre
un nom dessus... quand subitement nos regards se sont croisés. Il fut le premier, sans aucune gène, à hurler mon nom: « S.C.S. !!! Vous ici ?!... »
Nous avons longuement parlé de vous, comme vous pouvez ne pas en douter... et de ce malheureux Père Fétiche. Je dis malheureux parce-que, enfin... ce n'est pas à
vous que je vais l'apprendre... passons...
Et puis, nos trains pour nul part furent annoncés, nous dûmes à regret nous séparer... nous
promettant très bientôt de nous revoir. J'espère cette fois que vous en serez. Alors quelle fête nous ferons ! Ah !... C'est drôle comme de bavarder avec un ami rend l'air plus respirable
!...
Bien à vous,
S.C.S.
Écho n°166, par Freddy Simon :
Bon d’accord, je n’ai pas pu résister et j’ai lu « le cerveau ».
J’ai bien rigolé (de vous).
Je m’en veux d’avoir craqué, mais vous avez jeté votre texte en
travers de ma route et je ne suis pas du genre à me murer dans le silence comme une tapette castrée.
Si vous pouviez me jurer qu’il y a ne
fut-ce qu’une seule chose de vraie dans les commentaires, je continuerais à lire votre texte.
Cordialement
Écho n°167, par Georgie de Saint-Maur :
Cher S.C.S,
Je ne suis pas sûr que votre commentaire appelait une réponse. En tout cas, il était fort sympathique et
amical.
Bien à vous
Écho n°168, par Georgie de Saint-Maur :
Cher Freddy,
Je dois, tout d’abord vous gronder : vous m’aviez promis de ne plus lire le
père fétiche.
Je crois que vous avez un problème avec l’antitexte. Vous n’acceptez pas qu’il soit né d’une
réflexion. Vous n’admettez pas qu’il soit intentionnellement stupide.
Je ne peux pas grand-chose pour vous. Il
faudrait que vous relisiez plusieurs fois les commentaires et que vous les compariez avec l’antitexte. Les commentaires sont des morceaux d’anthologie, fins et intelligents, que je vous garantis
authentiques.
Ils seront inclus dans le livre.
Lorsque vous aurez bien relu tout cela, avec soin, contactez-moi à nouveau pour d’éventuels
éclaircissements.
Merci de votre fidélité. Bravo pour votre ténacité.
Écho n°169, par Freddy Simon :
Est-ce que mes commentaires seront publiés aussi ?
Écho n°170, par Georgie de Saint-Maur :
Oui, à condition que vous soyez d’accord.
Écho n°171, par Freddy Simon :
Oui ; je suis d’accord.
Écho n°172, par Serge Hamels :
Je suis d’accord
aussi.