Deuxième tableau : René

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Les rayons du soleil crevaient les grandes portes-fenêtres du salon et signaient le sol de trapèzes fauves. Comme nous étions heureux, tous réunis et parfaitement repus de cette nouvelle inespérée qui faisait mousser, aux coins des lèvres de mon frère René, une petite bave de bien-être.
― Je m’occupe du gagne-pain, proclama-t-il, les bouquins surréalistes ça me connaît.
Tante Rrose se frottait les mains, tandis que mon oncle se renfrognait. 

Quelques années plus tôt, René avait quitté leur belle demeure afin de tenter sa chance à Paris. Passionné de littérature surréaliste, il pensait pouvoir y être rapidement publié et grassement rémunéré !
Les années avaient passé mais le monde de l’édition avait cruellement ignoré ses écrits.
Indigné, il avait mis à profit son séjour pour écumer toutes les librairies et glaner tout ce que les belles-lettres recèlent d’ouvrages, d’études et d’essais sur le thème de la littérature surréaliste et tutti quanti.
Nous avions régulièrement des nouvelles de René. Chaque mois, il nous envoyait une allègre missive. Son retour m’emplissait le cœur de joie. Nous avions toujours été très proches l’un de l’autre. J’aimais son caractère d’un naturel joyeux, son air visionnaire et inspiré.
Plus âgé que moi, il m’avait toujours permis de partager son temps et son passe-temps : la fabrication de textes surréalistes. 

L’atelier était notre lieu, celui où nous nous retrouvions chaque soir.
René y burinait son surréalisme, activait le feu et me racontait des histoires extraordinaires…
Évidemment, du haut de mes treize ans, j’étais particulièrement impressionnée et je lui vouais une admiration sans borne. 

Le soir tombait et nous enveloppait d’un silence tiède.
Tristan, notre vieux canard, sommeillait sur le désordre de sa couverture.
Tandis que la colle poisseuse séchait en dégoulinant sur l’établi, René remit une grosse bûche de chêne dans l’âtre.
― Regarde-moi ça, dit-il, en faisant tourner lentement son texte devant le feu.
Il venait de réussir un morceau de surréalisme de toute beauté.
Il me regardait, les yeux pétillant par-dessus sa moustache.
― Tu vois, Zaza, me dit-il, comme cette petite nouvelle est suave ?
Le vent distendait ses joues, l’atmosphère de l’atelier n’était pas sans rappeler les veillées de Noël d’autrefois.
― Elle est magnifique, René, mais à quoi va-t-elle pouvoir contribuer ?
― Ah, toi et ta curiosité ! me répondit-il narquois. Connais-tu au moins la revue L’Ampoule ?
― Non, répondis-je, candide.

― Eh bien, dans ce cas, disons qu’il est toujours sage de posséder une bonne nouvelle chez soi !
― D’autant que celle-ci est particulièrement réussie ! m’empressais-je d’ajouter, veule.

René, grand garçon bien bâti, au regard mutin, aux cheveux d’un noir mystérieux, perpétuellement coiffés d’un chapeau-melon, conjuguait intelligence et dextérité, et les mettait au service de sa passion.
Il nous avait probablement fabriqué cette affreuse petite nouvelle pour nous cuirasser d’une fortune quelconque.
― Où la placeras-tu, René ?
― Dès qu’elle sera entièrement sèche, je la mettrai bien en évidence, au-dessus de la bibliothèque du salon. Ce sera du plus bel effet ! 

Je frissonnai en pensant à la tête de cheval et à la réaction de mon oncle André qui allait à nouveau s’insurger contre ce qu’il appelait ce lyrisme stupide.
― À quoi veux-tu donc prétendre cette fois, mon ami ? dit-il à mon frère, tout occupé à placer sa nouvelle bien en vue sur le toit de la bibliothèque close.
René ne se départit pas de son humour et répondit sur un ton ironique :
― À quoi, mon oncle ? Mais peut-être à ce qui se trouve dans cette bibliothèque. 

La réaction ne se fit pas attendre : une énorme bosse jaillit et déforma les portes du meuble ! 

Ma tante Rrose se mit à siffler du nez ! Rappelant assez étrangement le bruit des ailes d’une mouche lorsqu’elle heurte obstinément une fenêtre. Ce fut le dernier bruit qu’elle émit car, quelques secondes plus tard, elle gisait inerte sur l’épaisse moquette du salon.
Quant à l’oncle André, il se précipitait sur mon frère, le visage congestionné, en cherchant tout à la fois de l’air et à défaire son éternel nœud-papillon.
Je me précipitai vers la porte-fenêtre du salon et l’ouvrit.
L’air frais de la nuit s’engouffra.
Je portai alors secours à ma tante, toujours inanimée sur le sol, tandis que mon frère, accoudé à la cheminée, regardait la scène, un sourire énigmatique aux lèvres.
― René… René, dis-moi… Tu y as compris quelque chose ?  
― Le mystère fait partie du surréalisme, Zaza. 

Lorsque ma tante reprit ses esprits, mon oncle André nous intima l’ordre de les laisser seuls.

Mon frère souriait toujours mais, soulevant poliment son melon, il se retira sans rien ajouter.

Alors, je le suivis en sautillant. 


Georgie de Saint-Maur    

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