Position 36

Publié le

​​​​ ​​​​ ​    ​ VOIR TOUTES LES POSITIONS


Dans les épisodes précédents :
Voir « Le Point sur la situation ».

Caveau Marengo...

La neige, immaculée comme une conception, s’entassait, flocon par flocon, sur le toit du caveau.

Encore perdu dans vos pensées, Président ?

Arrêtez de m’appeler comme ça, Sapignac. Je ne préside plus rien du tout depuis longtemps, et je n’ai que faire de votre pitié.

Comme vous voudrez, Président.

C’est moi qui dois faire tout le sale boulot, je dois me taper des putes, assumer la corvée des réunions avec les autres Personnages. Sans compter que cet antitexte à la noix va tout détruire sur son passage. Il ne restera rien.

Le conseiller Sapignac mouilla ses lèvres. Dehors les flocons s’amusaient à présent à faire la course.

Les discours de Varquin l’emmerdaient.

Oui, c’est exact, admit ce dernier, au début j’avais pensé à un procès où vous auriez pu défendre nos intérêts. Mais avec un bon financement de sa défense, Bougebouche pourrait contre-attaquer avec tous les moyens judiciaires et faire traîner l’affaire sine die.

Cela nous obligerait à mobiliser des ressources considérables.

C’est Bolzaire qui est derrière tout ça. Il veut coûte que coûte imposer l’antitexte.

Mais pourquoi ?

Ça, je l’ignore encore.

Le jurisconsulte dodelina.

J’ai réfléchi et ce qui me tracasse ce sont les trains, avoua-t-il.

Que viennent faire les trains là-dedans ?

Si Bolzaire disparaissait, qui s’occuperait des trains ?

Mais je m’en tape ! répliqua Varquin. Je n’en ai rien à brosser.

Peut-être, mais dans le Labyrinthe, les chemins de fer sont le seul moyen de transport.

Vous comptiez faire du tourisme ?

Non, mais si vous bousillez le réseau, ça pourrait vous retomber sur le coin du parapluie.

Varquin inséra une phrase pour faire genre :

Bon, d’accord. Alors disons que nous allons l’escamoter… temporairement.

Ce qu’il nous faudrait, ce sont les plans du Labyrinthe.

La température baissait progressivement. De vieux souvenirs de fin d’année dansaient devant les yeux des conspirateurs.

Il y a peut-être un moyen, dit Varquin. Connaissez-vous un certain Crochetrain ?

Oui, Président. C’est un imbécile.

Placez-le quand même sous surveillance, car il y a deux options : il faut éviter à tout prix que la police des fous vienne fourrer son nez dans nos histoires. Et ce fameux Crochetrain pourrait servir nos plans à son insu.

Un flocon, en faisant un peu plus de bruit que les autres, fit tressaillir les deux traîtres.

À propos, poursuivit Varquin d’une voix inquiète, où en sommes-nous ?

Sapignac lança tout autour de lui un regard anxieux. Mais seules les caisses de vin Mariani les écoutaient.

Ça se passe plutôt bien, Président. L’affaire du Rescrit nous a beaucoup aidés. Plusieurs membres de la Convention estiment que les propos narcissiques de Bougebouche vont à l’encontre de leur éthique personnelle.

Bien. Personne ne nous soupçonne d’avoir répandu ces rumeurs ?

Personne.

La moitié du visage du président Varquin se détendit, ce qui créa une sorte de grimace hideuse. Fier de lui, il se saisit de deux verres scintillants.

Le moment est venu de rendre hommage à la mémoire d’Angelo (1), déclara-t-il.

Le jurisconsulte ricana comme une hyène sans hygiène et plissa d’avance ses yeux de plaisir.

Toutefois, avant de trinquer, hésita Varquin, j’aimerais savoir si des sanctions sont envisagées contre Bougebouche. Je me méfie de ces maudits représentants, ils ont autant de courage que des serpillières en promotion.

Certains d’entre eux envisagent sérieusement d’introduire une motion de dépôt pour autocratie, assura avec hâte Sapignac qui avait envie de boire. Le tout est de réunir un nombre suffisant de voix.

Combien en manque-t-il ?

Trois sur les deux cents nécessaires.

Vous avez bien travaillé, mon cher, le félicita Varquin.

Et il remplit copieusement les calices.

L’avenir du Métapoly semblait accueillir un nouveau soleil. Les magnifiques perspectives d’un roman d’aventure doublé d’un témoignage politique à la mode promettaient un succès commercial étonnant.

Varquin se voyait déjà en haut de l’affiche, en cent fois plus grand que n’importe qui son nom s’étalait. La foule des hommes de Cuc hurlait : « Vive le maître ! », en le portant en triomphe. « Vive les augmentations ! »

Il mouilla légèrement son calefouette.

Que voulez-vous, c’est un roman exigeant. Allez, je vais nous servir un petit Mariani.

 

1 Angelo Mariani.

Commenter cet article