Pique-nique

Publié le

Drame en un acte de Seul.

Avec, par ordre d’entrée en scène des personnages :
- Papuche
- Médiane
- Isocèle

*

Isocèle — Étends vite la nappe, Papuche !
Papuche — Et je dispose les assiettes…
Médiane — Oh oui, les bleues. Les belles assiettes bleues.
Isocèle — Et ouvre-nous le parasol !
Médiane — Nous avons hâte.
Isocèle — Quel beau pique-nique !
Papuche — Asseyez-vous, les filles.
Isocèle — Nous ne pouvons pas, Papuche…
Médiane — Nous ne savons bouger ni nos pieds ni nos jambes…
Papuche — C’est vrai, mes agneaux, je m’en occupe !

Il installe les enfants autour de la nappe.

Isocèle — Comme il fait beau, Papuche !
Médiane — Quelle belle journée.
Papuche — C’est vrai, le soleil brille. L’herbe est tendre.
Isocèle — Et il n’y a ni fourmis ni guêpes…
Médiane — Et qu’allons-nous manger, Papuche, des fruits de mer ?
Papuche — Hé hé…
Isocèle — Ou bien un énorme gâteau au chocolat ?
Papuche — Houlà…
Médiane — Ou alors des sandwiches garnis de jambon, de moutarde et de cornichons ?
Isocèle — De la confiture ?
Médiane — Du miel ? Des cacahuètes ?
Papuche — Rien de tout cela, mes enfants. Nous allons manger de la bonne momie.

Il sort une momie du coffre de la voiture.

Isocèle — De la momie ?
Médiane — C’est bon, ça ?
Papuche — C’est délicieux, surtout le centre : la « mummi ».
Isocèle — Vraiment, Papuche ?
Médiane — Tu crois, Papuche ?
Papuche — Ça fait des années que j’élève cette momie dans ma cave.
Isocèle — Elle n’a pas l’air très appétissant…
Papuche — Je vais vous donner une cuisse à chacune.
Isocèle — Mais Papuche, on ne saurait pas la manger !
Médiane — On ne sait bouger ni nos mains ni nos bras… 
Papuche — C’est normal, les enfants, vous êtes mortes il y a dix ans et je vous ai empaillées.
Médiane — …
Isocèle — …
Papuche — Zut, ça marchait si bien.

RIDEAU

*

La critique de Jules Cuit

Baume providentiel pour les pères captatifs, Pique-nique d’Alain Seul nous ramène également à la pratique de la méditation assise Zazen. Rappelons que « za » signifie « s'asseoir » et« zen » signifie « concentration », « comprendre ». La pratique de Zazen consistant tout simplement à s'asseoir et à « méditer ».
Les momies ont été mangées de tout temps, avec un pic de consommation au XVIe siècle. Il est également notoire que le cœur, la « mummi »,
qui contenait une forte concentration de natron, était particulièrement succulent.
Finalement u
ne pièce très difficile d’Alain Seul, qui préfigure son grand spectacle sur le même sujet : Seul en scène.
Et
une belle performance d’acteur de René Touffieux, qui nous campe un Papuche bien déterminé.

*

Et vous, que pensez-vous de cette pièce ?

Faut-il adopter une approche géométrique pour mieux la comprendre ?
Alain Seul était-il schizophrène ?
Et quel goût peut bien avoir la momie affinée en cave ?

Nous attendons vos opinions tranchées en commentaires !

Commenter cet article

Z
Cherchez la tangente. Cette histoire n'a pas de faim.
Répondre
O
Très belle allégorie de la "revanche des pères". Ceux-ci souvent, lorsqu' éconduits, voyant dans la séparation ou le divorce, la douloureuse sensation d'un éloignement progressif (et souvent définitif)de leur progéniture. Pas rare qu'une sournoise aliénation parentale se mette en place, histoire de laver définitivement la mémoire enfantine de tout ce qui pourrait de près ou de loin rappeler ce darron (dans ce cas-ci) "épouvantable". <br /> Peu enclin à tourner autour du pot car étant peu sodomite, Alain Seul tranche comme il a coutume de le faire. "Puisque je ne peux plus voir mes enfants et bien soit. Je les empaillerai donc et les conserverai ainsi avec moi à vie". <br /> Mais poussons l'insolite et le macabre jusqu'au bout. Il n'est pas illusoire de s'imaginer que la momie qu'il s'apprête à servir aux enfants, n'est autre que son ancienne épouse... Le happy end résidant au fait que ses enfants décédés ne peuvent pas se transformer en canibales. On a eu chaud! Mais c'étrait très juste! Le crime étant néanmoins presque parfait vu que Paluche, pardon Papuche, ne semble pas jusqu'ici inquiété. Tout cela nous ramène à Psychose de Hitchcock. Norman Bates n'avait-il pas lui même tué sa mère avant de l'avoir empaillée pour la garder auprès de lui éternellement? Complexe d'Oedipe magnifiquement symbolisé à même la paille qu'on voit toujours dans l'oeil d'autrui avant la poudre dans le nôtre. On imagine bien qu'Alain Seul devait l'être sensiblement voire un tantinet déprimé lorsque lui est venu cette idée de pièce. Qu'il se rassure Homère et le bon Virgile en passant par Dante, Shakespeare et plus tard Baudelaire, on fait pousser les plus beaux aconits aux milieu des vers, l'enfer et la désolation.
Répondre
G
Cher Olisbos, observons, avec un sérieux mortel, les points p ; i, m. Nous voyons (nous savons) qu’en les reliant nous obtiendrons le triangle PIM. Or Pim est un jeune poivron vert. Malin & inventeur. Tomi est une jeune tomate qui est l'amie de Pim.<br /> Plant est une aubergine qui est un des amis de Pim. Edison : une pomme de terre qui est aussi un ami de Pim. Billy Pop est un épi de maïs qui est un des meilleurs amis de Pim. Newton est une pomme qui est aussi le meilleur ami de Pim.<br /> Et enfin Pouic est un navet qui est aussi un des meilleurs amis de Pim.<br /> Au vu de toutes ces références maraîchères, avouons que nous voici bien loin des projets pseudo-anthropophages de Papuche.<br /> Le parallèle finement exhumé entre Norman Bates et ce dernier est très intelligent mais ne tient pas la route ; Papuche ne connait qu’une seule momie, celle de Rascar Capac.<br /> Et nous voici donc replongés dans l’univers de Disney et de Pim, Pam, Poum ? Pipo ! Il n’est pas très facile de me bluffer, car voyez-vous, je (si vous tenez vraiment à poursuivre cette conversation, veuillez reformuler un commentaire).
P
Bon, quoi qu’il en soit, le trauma, le trauma!... on est encore dans le meurtre et dans le soupçon : on aura compris que Triangle et Isocèle, tués par leur « père », puis transformés en momies (certes, ici empaillées), ne sont finalement qu’un prétexte de plus pour Alain Seul (qui aurait croisé Beckett et ses « têtes mortes »!), d’annoncer ou de ré-annoncer la mort (décidément) du « personnage » et sa momification - en cela, la démonstration de Jérôme Pitriol, comme quoi une lecture géométrique (voire « pyramidale ») « en pensée » de la pièce, s’impose, est-elle fort pertinente... <br /> Personnages momifiés, au musée des antiquités, donc ! pourrait-on s’écrier. Suffit!<br /> Mais, si le crime, comme chacun sait, paie toujours (notamment en art et en littérature !), certains auteurs s’entêtent. Leur argument ? Les personnages étant morts, que reste-t-il, un esprit, un fantôme ? <br /> Alain Seul leur donne la réponse, une réponse courte, minimaliste, mais sanglante : STOP à la dictature du personnage…<br /> <br /> Sacré(ment…) Seul !
Répondre
G
Cher philippe,<br /> comme à chaque fois, vous êtes d’une lucidité affolante. Je dis « à chaque fois », car, nous ne le cacherons pas plus longtemps, vous êtes un des meilleurs commentateurs (sinon « le » commentateur) du mythique « Métapoly ».<br /> Quelle brillante vison/analyse de la pièce. Vous êtes décidément un psychologue hors pair. Oui les personnages (tous les personnages), espèrent effectivement autre chose : les enfants espèrent des plats « ad hoc », papuche espère une hypothétique absolution. Le meurtre est bien là, brandi comme le pieu immonde d’Ulysse. Et notre pauvre policinelle de Polyphème revient sur le devant de la scène avec son clin d’œil pratiquement sodomite, car Satan l’habite. Seul est seul, mais en est pleinement conscient. L’œil maçonnique inscrit dans le triangle p ; i ; m est « énérgène ».<br /> Sa foulée est large, il a tué la femme, empaillé les enfants… Seul est à la dramaturgie ce que la paille est à la poutre, dans une copulation obscène et (si vous désirez poursuivre malgré tout cette conversation, veuillez reformuler un commentaire).
M
j'adore la chute !! bravo !
Répondre
G
Merci Marie
J
Bonjour.<br /> Voici, comme convenu, un petit exercice de géométrie pour mieux appréhender le centre de la pièce d'Alain Seul.<br /> Par convention, les trois personnages de la pièce seront désignés par leur initiale, et assimilés à des points matériels. Nous allons placer les points P,M,I dans le plan de votre feuille, puis déterminer le centre de gravité G du triangle PMI.<br /> 1. Placez votre feuille blanche devant vous, dans le sens que vous préférez.<br /> 2. Prenez votre crayon, vérifiez la présence d'une mine et placez dans le plan trois points P,M,I dans l'ordre que vous aimez le mieux.<br /> 3. Reliez soigneusement les trois points P,M,I à l'aide d'une règle. Vous pouvez également utiliser un niveau à bulle, mais vous devez dans ce cas vous assurer que vous travaillez sur une surface bien plane (vous enlèverez alors tout ce qui peut traîner sous votre feuille, briquet, cuiller à café, clés de voiture, etc.). A ce stade vous devez avoir obtenu un beau triangle. Si votre triangle est isocèle en P, passez à l'étape 4. Dans tous les autres cas, recommencez à l'étape 2.<br /> 4. Faites une petite pause, vous l'avez bien méritée. Attention toutefois de ne pas souiller votre travail avec du café ou vos cendres de cigarette. A tout à l'heure.
Répondre
G
Cher Jérôme,<br /> Entendez-vous les applaudissements ? Entendez-vous les vivats et les bravos assourdissants ? Bon sang, il faudrait être sourd pour ne pas les entendre.<br /> Même si je sais que ce cher Jules Cuit, qu’on ne présente plus (L’Avenue du rire/ Curiœusités/ Coucous de Théâtre), ne serait pas tout à fait d’accord avec votre conclusion. Pour lui, comme pour bien d’autres mathématiciens-critiques de théâtre, Papuche n’est pas le centre de la pièce, mais bien l’orthocentre (dont on parle beaucoup moins, mais qui existe et se prête à l’analyse), la diagonale tracée (par arc de cercle) sur la médiane nous donne, bien entendu, le centre de gravité. Et c’est vrai que cette pièce est grave. Presque aussi grave qu’Alain Seul, lui-même… Peut-être ferais-je la démonstration de tout cela un jour, mais là dans l’immédiat, je pars faire mes courses.
P
Reprenons.<br /> 5. Tracez la médiane du triangle PMI passant par P. Que constatez- vous ?<br /> Oui, l'impensable se produit alors : votre triangle isocèle vient de disparaître, et la médiane aussi, pour laisser la place à deux triangles rectangles. Plus de Médiane, plus d'Isocèle, ne reste donc plus qu'un personnage, plus qu'un seul point, qui est donc le centre de tout, du plan comme de la pièce.<br /> 6.Tracez maintenant, pour le plaisir, les deux autres médianes du triangle PMI. Que pouvez-vous en conclure ?<br /> Exactement : le centre de gravité G apparaît, point de concours des médianes. En revanche, le tracé ne fait apparaître aucune momie. Et encore moins son centre. Si votre figure est approximative, sachez que c'est parce que vous manquez d'entraînement. Exercez-vous avec d'autres triangles. Certains géomètres ont étudié tellement de sortes de triangles, qu'ils vous localisent le point G en trois coups de crayon.<br /> C'est à ce moment que l'auteur, Seul, se livre à une pirouette que les mathématiciens se permettent rarement : il fait disparaître subitement deux points sur trois. Le triangle s'efface carrément, avec les médianes, et G se déplace instantanément sur P. Je ne vous dis pas l'effet que ça produit, mais Papuche est bel et bien le seul et unique centre de la pièce.<br /> Conclusion : "Faut-il adopter une approche géométrique pour mieux comprendre la pièce ?" Je crois. En tout cas, il n'est pas nécessaire de comprendre mon approche géométrique pour adopter la pièce.<br /> Bonne journée.